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Mondes de l'éducation

#WDR2018 à l’épreuve des faits n°3 : Non aux expérimentations à but lucratif dans l’éducation : soutenez l’éducation publique

Publié 14 novembre 2017 Mis à jour 21 novembre 2017
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Le Rapport sur le développement 2018 (WDR)- Apprendre pour réaliser la promesse de l’éducation – accorde une place centrale à l’apprentissage pour préparer l’avenir des enfants et des jeunes. Le rapport reconnait le rôle crucial des enseignants en vue de parvenir à une éducation de qualité.

Le WDR stipule aussi clairement qu’aucune preuve concrète ne vient attester de meilleurs résultats d’apprentissage dans les écoles privées plutôt que dans les écoles publiques et il met en lumière de nombreux risques, notamment l’exclusion des plus démunis et la mise en péril de l’éducation publique. En dépit de faiblesses dans l’analyse de certaines questions telles que l’absentéisme des enseignants, et la formulation de recommandations pratiques qui entraineraient un déclin considérable du statut des enseignant et soutiendraient l’agenda en faveur de la déprofessionnalisation, la Banque mondiale doit être saluée pour ce tout premier rapport qui vise à promouvoir l’accès à l’éducation pour tous.

Au vu des raisons évoquées ci-dessus, il est judicieux de diriger tout financement, aussi minime soit-il, vers l’éducation publique afin de s’assurer que toutes les filles et tous les garçons suivent un cycle d’enseignement primaire et secondaire gratuit, équitable et de qualité, conformément à l’Objectif 4 de Développement durable.

Le Forum de la société civile de la Banque mondial e organisé du 10 au 13 octobre 2017, a explicitement fait ressortir le besoin accru de financements dans l’éducation, en particulier dans le cadre de la Reconstitution des ressources financières du Partenariat Mondial pour l’Éducation (GPE) début 2018, en vue de soutenir des reformes systémiques à long terme dans le secteur éducatif. Les pays concernés sont exhortés à accorder une place prioritaire à l’éducation et à consacrer au moins 4-6% de leur PIB ou 15-20% de leurs budgets nationaux à l’éducation (voir le Cadre d’action de l’UNESCO). La nécessité d’augmenter les financements en faveur de l’éducation a été soulignée par le panel de discussion « Admis ou recalés : les systèmes éducatifs font-ils leur devoirs ». Les mesures qui y ont été proposées comprenaient notamment la promotion des droits syndicaux, la dépense sociale et la progressivité de l’impôt. En Afrique, l’évasion fiscale fait perdre aux Etats plus de 500 milliards de dollars, une somme qui aurait pu servir à soutenir l’accès à l’éducation pour tous les enfants non scolarisés.

Durant le forum, des questions relatives aux partenariats publics-privés (PPP) et à l’implication de la Banque mondiale auprès de fournisseur privés d’éducation, ont été soulevées. S’agissant des PPPs, les Administrateurs de la BM (appelés EDs en anglais) ont annoncé qu’ils relâchaient la pression pesant sur les budgets gouvernementaux et les préservaient face aux dettes. À ce jour, l’International Finance Corporation (IFC, branche privée de la BM) compte 105 pays clients et continue d’en chercher de nouveaux. Quelles sont les implications de cette situation du point de vue de l’éducation ? Dans le cadre d’un des panels de discussion du forum sur les politiques, intitulé : L’approche de la Banque mondiale sur l’éducation : Perspectives sur le WDR et sur la politique et les prêts de la Banque mondiale », la Banque a été interpellée sur les raisons  ayant motivé ses investissements dans les Bridge International Academies- des écoles privées à but lucratif – par le biais de l’International Finance Corporation (IFC). En réponse, la Banque a simplement indiqué que plus de 99,5% de son portfolio pour l’éducation soutient une éducation publique gratuite et de qualité. ( Dr Jaime Saavedra- Directeur général, Éducation Banque mondiale).

De même, interrogé sur l’approche de l’IFC vis-à-vis des investissements en faveur de l’éducation et de l’impact des Bridge International Academies en Ouganda, le Président Directeur Général de l’IFC, Philippe Le Houerou, a répondu:

“ De nombreuses discussions ont été engagées au sujet des écoles Bridge, notamment par la CSI, l’Internationale de l’Éducation. Le secteur de l’éducation est un petit secteur, je pense qu’il faut faire davantage. Sans expérimentation, il n’y a pas d’apprentissage. La Banque surveille les résultats et si cela fonctionne, nous étendrons les initiatives concernées”.

Tout enfant, qu’il soit issu d’un pays pauvre d’Afrique ou d’ailleurs mérite une éducation de qualité, et nul ne devrait se retrouver face à des enseignants non qualifiés, dans des infrastructures déplorables, dans le but de réaliser les bénéfices ($4 pour chaque dollar investi dans les activités commerciales de l’IFC).

En Ouganda, l’expérimentation des écoles Bridge est engagée depuis 2015, et actuellement 62 de ses 63 écoles se sont établies sans aucune considération pour les normes minimales en vigueur dans le pays ou pour les procédures légales énoncées par l’Ouganda dans sa Loi sur l’Éducation (2008). Bridge fournissait une éducation bien en deçà des normes nationales.

En 2016, UNATU a été alerté sur les opérations de Bridge par le biais de l’étude de l’Internationale de l’Éducation : « Scolariser les pauvres pour faire des bénéfices, les innovations & carences de Bridge International Academies en Ouganda». Certaines des questions exposées dans le rapport pointent notamment les équipements scolaires inadéquats et les piètres installations sanitaires qui présentent un danger pour les enfants ; les programmes scolaires non accrédités ; un modèle de gestion fondé sur l’accessibilité financière et l’évolutivité. Or, les écoles de la BIA ne sont ni abordables ni à bas prix comme elles le prétendent et en Ouganda, la facture s’élève à 129-152 US Dollars par an. Ainsi, une famille disposant d’un revenu moyen, devrait consacrer 50% de son revenu annuel pour scolariser deux enfants dans une école Bridge.

Parmi les autres questions soulevées, figure le recours à des enseignants non qualifiés – à hauteur de 80-90% - dont certains perçoivent un modique salaire de 40-60 US Dollars par mois. En outre, les enseignants recrutés dans le secteur privé sont souvent exploités car ils sont bien moins payés que les enseignants du secteur public et ne disposent pas de contrats officiels. Cette situation compromet l’agenda en faveur du travail décent.

Ces résultats ont été immédiatement portés à l’attention des Membres du Parlement par le Président du Syndicat national des enseignants d’Ouganda (UNATU). Sur la base de ces éléments et des recherches menées sur le terrain, le Parlement ougandais avait appuyé le 8 août 2016, la fermeture des écoles de la BIA.

Le 4 novembre 2016, la Cour suprême a ordonné la fermeture effective de ces écoles en Ouganda, après que la BIA a perdu son procès en appel.

Le gouvernement ougandais est salué pour son initiative audacieuse. Hormis la présentation du rapport faite personnellement par le Président de la République d’Ouganda le 5 octobre 2016 à l’occasion de la Journée mondiale des enseignants, j’ai pu également constater que des personnes issues de tous horizons – parents, responsables locaux, membres de la société civile, politiciens, y compris des Membres du Parlement et Ministres de Cabinet, éducateurs, acteurs de la communauté juridique et des médias- s’exprimaient à l’unisson contre un fournisseur d’éducation qui nuisait à la souveraineté nationale et mettait en danger le futur des enfants concernés.

Ce qui a été rapporté aux Administrateurs de la BM lors des différents forums organisés dans le cadre des dernières Réunions annuelles, concernait le fait que l’éducation dispensée par les écoles de la BIA impactait gravement sur le droit d’accès à une éducation gratuite et de qualité pour tous, en particulier pour les plus démunis. En tant que syndicats d’enseignants et défenseurs d’une éducation de qualité, il faut continuer à relayer ces faits. Après tout, lors de la Table ronde 2017 avec les Administrateurs de la BM, nous avions été avertis que pour qu’une question soit considérée comme importante et de fait, véritablement traitée, il était nécessaire que bon nombre de personnes en parlent encore et encore. C’est exactement ce que l’IE et d’autres font.

Ensemble, nous pouvons nous assurer que les gouvernements et la Banque mondiale instaurent des politiques éclairées et novatrices et que des mesures accompagnatrices telles qu’un financement adéquat, soient également mises en œuvre pour faire face aux défis systémiques dans l’éducation.

Souvenez-vous que pour ceux d’entre nous qui sont engagés dans l’Agenda pour l’éducation 2030, il est temps de passer à l’action, maintenant.

« #WDR2018 à l’épreuve des faits » est une série promue par l’Internationale de l’Education. Elle rassemble les analyses d’expert(e)s et de militant(e)s de l’éducation (chercheurs et chercheuses, enseignant(e)s, syndicalistes et acteurs et actrices de la société civile) des quatre coins de la planète en réponse au Rapport sur le développement dans le monde 2018, Apprendre pour réaliser la promesse de l’éducation. La série fera l’objet d’une publication en préparation des Réunions du printemps 2018 de la Banque mondiale. Si vous souhaitez y contribuer, veuillez prendre contact avec Jennifer à [email protected]. Les opinions exprimées n’engagent que leur auteur et ne représentent pas les positions de l’Internationale de l’Education.

Consultez le post précédent de la série écrit par Leo Baunach : #WDR2018 à l’épreuve des faits n°2 : Les conditions de travail des enseignants sont les conditions d’apprentissage des élèves : Les occasions manquées du rapport sur l’éducation de la Banque Mondiale

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.