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Mondes de l'éducation

Photo: Mahmood Al-Yousif / Flickr
Photo: Mahmood Al-Yousif / Flickr

#DUDH70 - « Notre combat à Bahreïn… pourrait être le vôtre », par Jalila Al-Salman

Publié 13 décembre 2018 Mis à jour 12 décembre 2018
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La Bahrain Teachers’ Association (BTA) a vu le jour en octobre 2001 au terme d’un long chemin semé de luttes des enseignants pour disposer de leur organe représentatif. Elle a été créée après la présentation par le roi Hamad d’un train de réformes, qui incluait l’autorisation d’associations représentative des professionnels du secteur public, bien que les syndicats soient toujours interdits.

Lorsque le mouvement du Printemps arabe a touché Bahreïn, les gens ont recommencé à réclamer le respect des droits fondamentaux, comme ils l’ont fait décennie après décennie depuis 60 ans. En 2011, Bahreïn a connu la plus grande révolution de son histoire pour la conquête de ces droits. Le 14 février est la date à laquelle des personnes réclamant des libertés ont commencé à se rassembler et à défiler pour leurs droits fondamentaux.

Parmi elles, se trouvaient des enseignant(e)s et des étudiant(e)s puisque c’étaient les vacances scolaires de la mi-année (deux semaines entre les deux semestres) et que les écoles étaient vides. En dépit de la fermeture des établissements scolaires pour les vacances, la mobilisation était impressionnante.

Lorsque les rassemblements ont commencé, les enseignant(e)s se sont réuni(e)s à titre individuel et non en tant qu’organisation, mais lorsque la situation est devenue plus tendue, ils/elles ont demandé à leurs représentant(e)s de prendre la parole pour eux/elles, en particulier après que l’armée a pris position sur la place des Perles. Les troupes ont envahi la place à 3 heures du matin, tuant quelques manifestant(e)s, en blessant d’autres et en arrêtant bien davantage.

La BTA a invité ses membres à participer à un sit-in de deux heures devant les portes des écoles pour protester contre le recours arbitraire et excessif à la force contre les manifestant(e)s bahreïni(e)s pacifistes rassemblé(e)s sur la place des Perles.

Auparavant, le président de la BTA avait appelé le ministre de l’Education à reporter la rentrée scolaire jusqu’à ce que le calme revienne, mais en vain. Alors que la situation se dégradait, la BTA a maintenu le sit-in et a envoyé une télécopie, restée sans réponse, pour informer le ministre de l’Education. Le sit-in a mis pour la première fois en évidence l’influence de la BTA. La force du mouvement des enseignant(e)s a pris le ministre de l’Education par surprise. Le 20 février 2011, le président de la BTA a annoncé une grève de trois jours pour protester contre les menaces proférées par les autorités à l’encontre des enseignant(e)s et des étudiant(e)s. Des milliers d’enseignant(e)s et d’étudiant(e)s ont rejoint la place des Perles et des réunions et des cours ont été organisés sous des tentes.

En représailles, le ministre de l’Education a entamé la destruction minutieuse du système éducatif de Bahreïn. Depuis le premier jour de la grève, le ministère a commencé à intégrer ceux/celles qu’il appelle les « bénévoles » (bien qu’ils soient en fait salariés). Le ministre les appelle les « sauveurs de l’éducation ». Tout le monde était accepté comme enseignant(e) bénévole, quelles que soient ses compétences ou qualifications. Le cas le plus célèbre est celui d’une femme très âgée qui a accepté d’être bénévole alors qu’elle ne savait ni lire ni écrire. « Je vais raconter aux élèves les histoires que je connais », a-t-elle déclaré lors d’un entretien sur une télévision nationale. Un autre cas fameux est celui de l’acceptation comme bénévole d’un directeur d’école accusé et licencié sur décision d’un tribunal pour « avoir harcelé sexuellement » une étudiante. La plupart de ces bénévoles étaient souvent trop jeunes pour enseigner et n’avaient pas de certificats d’études secondaires. Certain(e)s étaient étudiant(e)s à l’université, tandis que d’autres étaient des femmes au foyer qui emmenaient leurs bébés en classe. Dans mon école, une fille qui n’était pas capable de terminer sa sixième a été nommée pour donner des cours d’anglais en quatrième! Ces bénévoles sont désormais très nombreux/euses, puisqu’on en dénombre à ce jour 6.000. Le ministre de l’Education a annoncé qu’ils/elles sont prêt(e)s à remplacer les enseignant(e)s grévistes à tout moment. L’Administration ne semble pas se préoccuper le moins du monde de ce que cela signifierait pour la qualité de l’enseignement. La détérioration de l’enseignement se reflète dans les résultats des étudiant(e)s et leur niveau d’instruction.

Le 24 février 2011, la grève a pris fin et tou(te)s les enseignant(e)s sont retourné(e)s dans leur établissement. Les écoles n’étaient plus comme avant. Elles étaient pleines de personnes sans rapport avec l’enseignement. Des enseignant(e)s qualifié(e)s ont été contraints de former ces soi-disant bénévoles pour les remplacer en cas de futures grèves, ce que la plupart d’entre eux/elles ont refusé de faire. Le harcèlement a commencé. Des conseils de discipline ont été mis en place illégalement, interrogeant les enseignant(e)s sur leur participation à la grève de trois jours. Les sanctions ont été sévères. Plus de 120 enseignant(e)s ont été renvoyé(e)s, des douzaines ont fait l’objet d’une suspension de trois mois et des milliers ont été punis d’une suspension de 10 jours avec réduction de salaire. Certain(e)s ont été envoyé(e)s dans des postes de police à la suite de plaintes signées par le ministre. Des douzaines ont découvert dans les médias que les tribunaux les avaient acquitté(e)s, sans avoir jamais reçu la moindre notification officielle. Les membres du bureau de la BTA ont été recherché(e)s et arrêté(e)s. Le président de la BTA a été jeté du deuxième étage, battu et frappé à coups de pied. En tant que vice-présidente de l’association des enseignants, j’ai été arrêtée à l’aube quand 50 agents de sécurité sont entrés chez moi, m’ont tiré du lit et ont pointé une arme sur ma tête. « N’aie pas peur, nous sommes de la police » a été la dernière phrase calme que j’aie entendue. Les médias ont commencé leur propagande en désignant la BTA et ses dirigeant(e)s par les pires qualificatifs. Plusieurs émissions télévisées ont été diffusées pour désinformer les gens sur le rôle de la BTA. « Nous avons été aux prises avec ce qu’on appelle l’Association des enseignants », a déclaré le sous-secrétaire du ministère de l’Education à la télévision.

La BTA a été déclarée illégale et n’a pas été rétablie en tant qu’organisation professionnelle depuis, malgré les interventions de l’Organisation internationale du Travail.

L’Internationale de l’Education a récemment dénoncé l’utilisation de matériel pédagogique biaisé discréditant les défenseurs des droits humains. Le programme scolaire appliqué dans toutes les écoles de Bahreïn demande aux élèves âgés de 15 à 18 ans ce qu’ils pensent des « actes de sabotage et des activités criminelles menés contre le royaume en 2011 ». Cette tentative claire de politiser l’enseignement public fait naître des risques élevés de victimisation et de représailles futures contre les étudiant(e)s et les enseignant(e)s en fonction des réponses données à ces questions. Cela renforcera probablement la stigmatisation, l’isolement et l’exclusion des enseignant(e)s, dont le droit de reprendre le travail en tant qu’enseignant continue de leur être dénié.

En 2011, lors de leur première grève, les enseignant(e)s ont connu les pires journées de leur histoire. Le président et la vice-présidente de la BTA ont été torturés, traînés devant un tribunal militaire et emprisonnés pendant 10 et 3 ans, respectivement. Une décision d’appel a réduit leurs peines d’emprisonnement à 5 ans et 6 mois. Tous deux ont été licenciés et continuent de lutter pour les droits des enseignant(e)s et la restauration de la BTA. Des centaines d’étudiant(e)s sont en prison aux côtés de nombreux/euses enseignant(e)s. Un enseignant et un étudiant ont été exécutés le 15 janvier 2017, alors qu’un certificat déclarait que l’enseignant était à l’école lorsque l’événement auquel il était accusé d’avoir pris part a eu lieu.

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Le 10 décembre 2018 marque le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits humains (DUDH). En garantissant le droit de former des syndicats, la liberté d’expression et le droit de chacun à une éducation de qualité, cette déclaration continue à être une source d’inspiration pour les enseignant.e.s et syndicalistes du monde entier. Le respect des droits humains requiert une éducation et une lutte permanentes. Pour fêter la DUDH, l’Internationale de l’Education publie une série de blogs où des syndicalistes réfléchissent à leurs combats et leurs réalisations. Ces articles reflètent l’engagement des syndicats de l’éducation, dans toutes les régions et toutes les communautés, pour défendre et faire progresser les droits humains et libertés de chacun.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.