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Les enseignant(e)s exercent le leadership

Publié 9 novembre 2012 Mis à jour 20 novembre 2012

Conclusion

J’ai soutenu qu’il était nécessaire de traiter le professionnalisme des enseignant(e)s avec une nouvelle approche qui permette à l’enseignant(e) d’avoir une plus grande influence sur les procédures et les pratiques. Le fait d’être simplement consulté(e) par ceux qui détiennent le pouvoir de décision n’est pas suffisant, ainsi que le montrent ces commentaires de notre collaborateur turc dans l’étude pour l’IE.

Les enseignants sont consultés, mais ils croient que c’est pour des raisons de formalité et ne sont pas sûrs que leurs opinions soient vraiment prises en compte. Donc ils pensent que leur avis n’est pas très important dans la mesure où leurs idées ne comptent pas. Ils considèrent même ces consultations comme un fardeau dans la mesure où ils ont l’impression de ne pas avoir d’influence sur les procédures.

(Animateur d’Atelier d’Etude, Istanbul)

Ce que je veux voir ce sont des décideurs politiques et des proviseurs d’écoles qui travaillent ensemble pour créer un climat dans lequel les enseignant(e)s peuvent développer leur capacité de leadership et consolider leurs connaissances professionnelles au moyen de réseaux. Tant que l’énergie créative et les fins morales des enseignant(e)s ne sont pas restaurées et mobilisées, les réformes de l’éducation ne seront pas efficaces. Ceci exige une série d’anticipations tout à fait différente de ce que Hoyle appelle le « professionnalisme » des enseignant(e)s (Hoyle, 2008). Doit-on attendre des enseignant(e)s qu’ils limitent leur rôle à enseigner ce que l’autorité centrale aura prescrit ou doit-on élever notre vision et aspirer à les voir relever le défi de l’innovation et du progrès? Il est temps de faire davantage confiance aux enseignant(e)s et en même temps de consacrer des ressources pour leur fournir le soutien qui leur permettra de devenir le type d’enseignant(e) qu’ils/elles espéraient être quand ils/elles ont réalisé pour la première fois qu’ils/elles voulaient s’engager dans le corps enseignant.

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Le leadership non positionnel des enseignant(e)s

Le terme « leadership des enseignant(e)s » est entré dans l’usage depuis un nombre d’années, particulièrement aux Etats-Unis où il est maintenant reconnu comme un levier clé de la professionnalisation.

Cependant, certaines initiatives ont laissé supposer que la seule façon de mettre en œuvre le leadership des enseignant(e)s est au travers de rôles définis. On ne met pas forcément en valeur la capacité de leadership des enseignant(e)s, en les qualifiant tout simplement d’ « enseignant(e)s leaders ». En revanche, le leadership non positionnel des enseignant(e)s nous permet de maximiser le potentiel de l’ensemble de la profession enseignante dans son ensemble. C’est ce concept essentiel qui a été à la base de plusieurs années de recherche et de développement, et plus récemment au sein du réseau HertsCam(Hertfordshire-Cambridge) au Royaume-Uni et au sein du projet de l’ International Teacher Leadership(Le Leadership International des Enseignant(e)s qui implique des partenaires dans 15 pays. L’idée est simple: au lieu de choisir et de nommer un petit nombre d’enseignant(e)s aux rôles d’ « enseignant(e)s leader », tou(te)s les enseignant(e)s auront la possibilité de développer leur potentiel de leadership de la façon qui convient à leurs circonstances et à leurs intérêts professionnels.

Les sceptiques ont peut-être des doutes quant à la capacité de leadership des enseignant(e)s en général et leur tendance à diriger, mais nous détenons des indices sérieux qui justifient un point de vue optimiste. Dans un rapport publié récemment à propos du Projet de l’ITL (Leadership international des enseignant(e)s), les indices présentés indiquent que:

« Les enseignant(e)s peuvent vraiment être à la tête de l’innovation, les enseignant(e)s peuvent acquérir des connaissances professionnelle, les enseignants(e)s peuvent vraiment développer leur capacité de leadership, et les enseignant(e)s peuvent influencer leurs collègues et la nature de la pratique professionnelle dans les écoles. En revanche, ce qui est très clair, c’est que les enseignant(e)s sont seulement à même de faire ces choses si ils/elles reçoivent un soutien approprié. »(Frost, 2011: 57)

L’un des véhicules essentiels du leadership des enseignant(e)s dans le projet ITL est le « projet de développement » dans lequel les enseignant(e)s bénéficient d’un soutien qui leur permet d’identifier un problème professionnel, de mettre en place un plan d’action et de solliciter le conseil de leurs collègues quant aux méthodes et objectifs.  Ceci crée une base solide sur laquelle l’enseignant(e) peut mener à bien et en toute confiance un procédé d’innovation, d’évaluation et d’expérimentation qui améliore un aspect de l’enseignement et de l’apprentissage. Voici maintenant un exemple de projet de développement d’un enseignant(e) extrait du rapport de projet de l’ITL. C’est en Moldavie.

Portrait: Le projet de développement d’un(e) enseignant(e)

Nous avons commencé l’apprentissage à travers et avec le théâtre. Les étudiant(e)s ont commencé par chercher des solutions à des problèmes de façon créative: ils ont changé la fin des histoires en optant pour des fins heureuses ou tristes, ils ont inventé de nouveaux personnages, ils ont improvisé des environnements et des endroits où l’action avait lieu. Mon objectif à chaque leçon était de demander aux étudiant(e)s de résoudre un problème ou un dilemme. Lors d’une réunion de service, j’ai parlé de mon projet à des collègues et je leur ai demandé ce qu’ils en pensaient et s’ils voulaient collaborer avec moi. Je voulais qu’ils/elles se servent d’activités créatives et utilisent des méthodes pédagogiques de façon à pouvoir comparer plus tard l’attitude et la motivation des étudiant(e)s face à l’apprentissage. Nous nous sommes observés dans nos cours. Puis nous nous sommes réunis à nouveau et nous avons conclu que nos étudiant(e)s étaient devenus plus sociables, plus créatifs et avaient fait appel à plus d’imagination. Quelques étudiant(e)s ont même amélioré leur comportement. J’ai également essayé des méthodes que mes collègues avaient utilisées et je leur ai demandé de venir observer mes cours. Au bout de quelques mois, nous avons remarqué de grands changements: la motivation des étudiant(e)s était accrue, ils commençaient à aimer l’école et leur attitude avait changé pour le mieux. Même les étudiant(e)s les plus réservé(e)s participaient davantage en classe. Les étudiant(e)s étaient tellement intéressés par ma participation à la conférence de l’ITL qu’ils m’ont aidé à créer l’affiche de présentation. Ils ont choisi de raconter l’histoire du projet dans un exposé qui avait la forme d’un livre où chaque page montrait les étapes franchies et les activités que nous avions faites étaient symbolisées par des petites images graphiques.

Le rapport du projet ITL souligne que les enseignant(e)s peuvent diriger de la façon illustrée dans les exemples cités plus haut dans la mesure où ils bénéficient d’un « soutien approprié ». La façon dont le leadership des enseignant(e)s tel qu’il est décrit plus haut peut être soutenu a réellement été au cœur du projet de l’ITL. Une grosse équipe - environ 50 personnes - d’individus engagés travaillent ensemble dans 15 pays pour explorer et expérimenter des stratégies de soutien pratique. A la dernière conférence qui a réuni toute l’équipe, nous avons opté pour un ensemble de principes - décrits plus bas - que nous proposons comme guide à ceux qui souhaiteraient relever ce défi du futur.

L’enseignant(e) comme consolidateur de connaissances

Les enseignant(e)s qui ont mené des projets de développement ont énormément à partager, non seulement avec leurs collègues, mais aussi avec les enseignant(e)s des autres écoles.  Leurs comptes-rendus peuvent être à la fois une source d’information et d’inspiration. J’en ai eu l’illustration lorsque j’ai été invité à assister à une réunion de réseaux d’enseignant(e)s en Bosnie-Herzégovine en mai dernier. Les enseignant(e)s de Serbie, du Monténégro et de Croatie ont franchi les frontières nationales pour rencontrer les enseignant(e)s de Bosnie, du Monténégro et de la Bosnie-Herzégovine lors d’un évènement de réseautage du projet de l’ILT qui s’est tenu dans une grande école primaire de Sarajevo. Après le discours de bienvenue prononcé par le proviseur de l’école, les délégué(e)s se sont rendus dans les salles de classe pour participer à des ateliers organisés par des enseignant(e)s de chacun des pays participants. Le programme comprenait trois séances d’ateliers parallèles dont l’objectif était un projet de développement de l’enseignant(e). Ceci signifie que les délégué(e)s avaient un choix de 30 ateliers et pouvaient participer au moins à trois d’entre eux. Après quoi, on nous a montré les affiches qui illustraient les projets de développement des enseignant(e)s et nous avons poursuivi nos discussions sans formalités en buvant un verre offert par l’école. C’est à ce moment que j’ai eu le privilège de rencontrer le professeur qui avait été cité dans le rapport de projet de l’ILT soumis par nos collègues bosniens.

« Je me suis surpris à participer à des débats de tout mon cœur, à m’enthousiasmer pour des conversations des plus ordinaires entre collègues de notre école et des collègues de Hrasno. Le fait d’échanger des idées, d’écouter les autres avec respect, d’apporter son soutien aux autres, on en retire une immense estime de soi et c’est tout ce dont j’ai besoin. Ainsi j’ai réussi à aller au-delà des limites de mon travail précédent, et je me suis donné des objectifs plus élevés. Ayant vu le résultat de mon initiative avec mon idée de coopération entre collèges, cela m’encourage à continuer à créer de nouvelles méthodes pour améliorer la qualité du travail avec les enfants, ce qui m’encourage personnellement, et par là même m’apporte plus de satisfaction ».

(Enseignant cité dans le dernier rapport de la Bosnie et de la Bosnie Herzégovine)

Ce commentaire d’un enseignant de Sarajevo nous montre que ces occasions de consolider leurs connaissances inspirent profondément les enseignant(e)s. Elles leur permettent de développer leur professionnalisme et de stimuler leurs attentes. Ces évènements remontent également le moral des enseignant(e)s. Il est important de souligner que ce type de réseautage n’est pas simplement une occasion pour les enseignant(e)s de parler de leur expérience de la salle de classe, mais plutôt, l’occasion de prendre connaissance de comptes-rendus détaillés sur des procédés complexes de développement et de changement. Ces comptes-rendus sont ensuite l’objet d’examen scrupuleux, et le sujet de débats critiques et de comparaisons. Les connaissances qui en émanent ont au moins deux dimensions: l’une concerne un enseignement innovant et l’autre, l’art d’exercer le leadership et de changer les pratiques dans les écoles.

Principes pour le soutien du leadership des enseignant(e)s

Principe 1: partenariat entre les écoles et les organismes externes

Parmi les organismes, on peut compter les départements d’éducation universitaires, les organismes gouvernementaux et les organismes non gouvernementaux (ONG)

Principe 2: Soutien mutuel à travers l’appartenance à un groupe et un réseau

Les groupes de soutien peuvent être formés au sein d’établissements scolaires individuels ou au sein de groupes d’établissements scolaires qui peuvent être reliés par des  réseaux.

Principe 3: Collaboration avec les proviseurs d’écoles

Etablir un dialogue avec les proviseurs d’écoles peut aider à renforcer le soutien pour le leadership des enseignant(e)s.

Principe 4: L’occasion de débats libres

Les enseignant(e)s doivent avoir la possibilité de réfléchir de manière critique sur les valeurs, les pratiques et l’innovation.

Principe 5: Une méthodologie basée sur le projet

Le leadership des enseignant(e)s est réalisé à travers l’initiation et le leadership des projets de développement.

Principe 6: Permettre aux enseignant(e)s d’identifier les priorités de développement personnel

Ceci traduit une passion, une préoccupation et une fin morale.

Principe 7: Les outils permettant de mettre en place les réflexions personnelles, les planifications et les plans d’actions

Des outils bien conçus permettront de mettre en place, de démontrer sous forme d’exemples et d’illustrer le leadership des enseignant(e)s.

Principe 8: Faciliter l’accès à la documentation pertinente

Ceci permet d’enrichir les connaissances acquises pendant le travail de développement des enseignant(e)s.

Principe 9: Fournir des conseils de stratégies du leadership

Les conseils d’experts et l’exploration mutuelle renforcent la capacité du leadership.

Principe 10: Fournir des conseils sur le recueil et l’utilisation des indices

L’enquête systématique est une stratégie de leadership démocratique et collégiale.

Principe 11: Mobiliser et orchestrer le soutien des organisations

Les proviseurs des établissements scolaires peuvent soutenir le travail de développement des enseignant(e)s et assurer leur cohérence avec leur école.

Principe 12: Fournir un cadre aux enseignant(e)s pour les aider à documenter leur travail

Un portefeuille structuré permettra aux enseignant(e)s de planifier, de noter et de réfléchir à leur travail de développement, ce qui pourra être utilisé à des fins de certification et des choses du même genre.

Principe 13: Fournir des occasions de créer des réseaux au-delà de l’école

Les enseignant(e)s bénéficient d’un support et d’une inspiration mutuels quand ils communiquent entre eux en réseau où ils cultivent un objectif moral dans tout le système.

Principe 14: Reconnaissance par certification

L’innovation du leadership des enseignant(e)s peut être reconnue au moyen de certificats émis par les universités et autres organisations réputées.

Principe 15: La connaissance professionnelle provient des expériences du leadership des enseignant(e)s.

Les enseignant(e)s peuvent enrichir leurs connaissances professionnelles au travers de débats collaboratifs et critiques et en échangeant leurs idées.

(Frost, 2011)

Le dernier principe de cette liste repose sur l’idée de l’enseignant(e) comme un(e) consolidateur/trice de connaissances professionnelles, ce qui transforme totalement l’idée qu’on a généralement sur la connaissance. Par tradition, la connaissance émane de la recherche dans les universités et des équipes d’experts chargées du développement de programmes pour le compte des gouvernements. En revanche, nous maintenons qu’il y a création de connaissance professionnelle quand les enseignant(e)s amènent le changement et développent des « savoir-faire » ainsi que des « savoir quoi » (Hargreaves, 2008). La consolidation de la connaissance se produit quand les enseignant(e)s  partagent, débattent et développent collectivement leurs connaissances avec d’autres enseignant(e)s.

Pour de nombreux enseignant(e)s, cette vocation de l’enseignement ressentie initialement peut être altérée au fur et à mesure qu’ils/elles découvrent la réalité de l’enseignement dans les écoles, et qu’ils/elles sont au sein des systèmes éducatifs, qui ne sont pas nécessairement conçus ou équipés pour permettre aux enseignant(e)s de développer leur professionnalisme. Au début des années 90, Michael Fullan s’est prononcé en faveur d’une « conception du professionnalisme de l’enseignant(e) qui intègre un objectif  moral et un outil de changement, qui fonctionne simultanément dans le cadre du développement individuel et institutionnel » (1993: 12). Vingt ans plus tard, il est évident que l’espoir de parvenir à une telle conception a été affaibli par les systèmes éducatifs qui sont de plus en plus centralisés et poussés par une obsession peu judicieuse de la mesure de la réussite scolaire.

La voix et l’auto-efficacité des enseignant(e)s

L’an dernier, le groupe du leadership au service de l’apprentissage à Cambridge a été chargé par l’Internationale de l’Education (IE) d’effectuer une étude petite mais générale visant à explorer l’auto-efficacité des enseignant(e)s, leur voix et leur leadership. Cette recherche avait pour but d’enquêter sur l’environnement actuel et les opportunités qu’ont les enseignant(e)s d’exercer le leadership, influencer la politique,  élaborer la pratique des enseignant(e)s et développer leurs connaissances professionnelles. Les résultats de ce projet ont apporté une contribution importante au débat concernant le développement de la profession enseignante car elle révèle que bien que la situation actuelle soit désastreuse, on trouve néanmoins parmi les enseignant(e)s un appétit pour un professionnalisme plus dynamique.

Dans cette étude  nous avons rassemblé les points de vue d’enseignant(e)s en Bulgarie, au Danemark, en Grèce, en Egypte, à Hong Kong, en Macédoine, aux Pays-Bas, en Turquie et aux USA. Des informations supplémentaires ont été recueillies dans trois études approfondies en Egypte (Eltemamy, 2012), en Macédoine (Josevska, 2012) et au Kyrgsystan (Teleshalyev, 2012). Nous avons également parlé à des responsables de syndicats en Australie, au Canada, en Norvège et aux Etats-Unis. L’objectif global de cette étude devait  permettre à des groupes d’enseignants(e)s d’exprimer leurs points de vue sur la mesure dans laquelle les enseignant(e)s peuvent actuellement prendre des responsabilités, être influent(e)s et contribuer à la direction du développement des pratiques au sein de leurs écoles. Les enseignant(e)s ont également exprimé leur point de vue sur  les conditions qui les encouragent à prendre la voix et à être influent(e)s, sur la mesure dans laquelle les enseignant(e)s sont consulté(e)s, sur les stratégies et les politiques qui amélioreraient leur assurance et leur auto-efficacité.

Au stade initial de l’étude, il nous a paru évident qu’en général les enseignant(e)s ne jouent pas un rôle principal dans l’élaboration de la politique éducative et dans de nombreux pays il leur est très difficile d’avoir de l’influence sur la nature de leur pratique professionnelle. Dans un article qu’il a présenté lors d’une conférence internationale, mon collègue John Bangs et moi avons dit que « …quand il s’agit de prises de décision politiques aux niveaux national et international, les enseignant(e)s sont souvent la cinquième roue de la charrette » (Bangs & Frost, 2012a). Certains n’y verront aucun problème. Ils s’imagineront peut-être qu’il est totalement approprié que  la prise de décisions soit laissée aux politiciens et aux responsables du gouvernement, mais je tiens à souligner qu’il existe de véritables raisons pour lesquelles la voix des enseignant(e)s doit être entendue.

Premièrement, il s’agit d’une question d’expertise. Le groupe d’enseignant(e)s auquel nous avons parlé à Athènes reflétait la frustration généralisée des enseignant(e)s lorsqu’ils ont dit cela:

« Les enseignant(e)s qui ont une longue expérience dans des salles de cours n’ont pas de rôle dans l’élaboration des programmes. Les enseignant(e)s devraient participer ou au moins faire part de leurs réactions en ce qui concerne les programmes. »

Ce sentiment a été répété dans toute l’étude. Les informations que nous avons recueillies montraient de manière systématique l’énorme fossé qui existe entre les aspirations des enseignant(e)s quant à leur voix et leur influence et la réalité qui est généralement considérée comme une question de prescription descendante où les perspectives et les opinions des enseignant(e)s sont ignorées.

N’est-il pas absurde ne pas tenir compte de l’expertise des enseignants(e)s? En tant que professionnels ils/elles ont normalement reçu une éducation et une formation considérables; ils/elles  ont obtenu des qualifications et ils/elles prennent part régulièrement à une formation professionnelle continue; ils/elles bénéficient également d’une expérience, le tout leur permettant de s’exprimer avec une certaine autorité sur les questions d’éducation. Je ne veux pas trop insisté sur la question d’expertise des enseignant(e)s pour deux raisons: d’abord, il serait naïf  de prétendre que la qualité de l’enseignement est constamment haute dans tous les systèmes d’éducation, et deuxièmement, la démocratie exige qu’un large éventail de membres de la communauté puisse influencer ce qui se passe dans les écoles. Quoi qu’il en soit, il y a peut-être une raison encore plus importante pour laquelle les enseignant(e)s devraient être plus influent(e)s; elle repose sur la question du genre de professionnalisme dont nous avons besoin dans nos systèmes d’éducation. Désirons-nous le type de professionnalisme dans lequel les enseignant(e)s ne se sentent pas capables de se prononcer sur les principes d’éducation ou désirons-nous celui qui permette aux enseignant(e)s d’innover et de s’efforcer à améliorer continuellement la pratique de leur  métier?

La clé du bon type de professionnalisme repose sur l’idée d’ « agence humaine », qui est une caractéristique principale de l’espèce humaine. L’agence humaine est la capacité à l’auto-détermination et à l’action morale auto consciente qui peut être soit augmentée ou diminuée au travers de l’expérience (Frost, 2006). Le travail des psychologues tels que Albert Bandura nous révèle que, si l’agence est constamment frustrée, la croyance qu’une personne a en sa propre efficacité est sérieusement ébranlée et celle-ci peut devenir déprimée et incapable de fonctionner efficacement. Il est clair que notre bien-être dépend de notre aptitude à faire fonctionner notre agence, mais l’efficacité de nos écoles dépend de manière cruciale des fortes croyances d’auto-efficacité qu’ont les enseignant(e)s (Tschannen-Moran & Woolfolk Hoy, 2001). Cela est corroboré dans la recherche TALIS (Scheerens, 2010). Il est indispensable que les enseignant(e)s soient capables de se prononcer, se conformer à un ensemble de règles, prendre des initiatives, s’auto-évaluer et être tenus responsables auprès de leurs pairs et des acteurs de l’éducation.

Aborder le problème

Il est important bien entendu d’enquêter et de tenter d’expliquer l’état des choses, mais je suggère que nous avons un besoin urgent de stratégies pratiques pour aborder le problème. Par conséquent, le rapport que nous avons soumis à l’IE en février dernier, contient un nombre de recommandations (Bangs et Frost, 2012b). Nous avons suggéré qu’un cadre stratégique propice pour les enseignant(e)s  devrait:

·         fournir des occasions aux enseignant(e)s de pratiquer le leadership dans le cadre du développement et de l’amélioration de la pratique professionnelle;

·         garantir le droit d’être entendu et d’être influent à tous les niveaux de l’élaboration des politiques y compris le contenu et la structure des programmes;

·         protéger et renforcer le droit d’un(e) enseignant(e) de déterminer comment enseigner dans le contexte de responsabilité collégiale;

·         appuyer les enseignant(e)s à s’engager dans l’établissement de leur propre orientation de leur développement professionnel et à contribuer à l’apprentissage professionnel de leurs collègues;

·         reconnaître le rôle essentiel que les enseignant(e)s ont à jouer dans la construction de rapports de collaboration avec les parents et la communauté au sens large;

·         promouvoir le rôle des enseignant(e)s dans l’évaluation des élèves, l’évaluation des enseignant(e)s et l’évaluation des écoles; et

·         permettre aux enseignant(e)s de participer à des activités qui conduisent à la création et au transfert de connaissances professionnelles.

Ces propositions sont fondées sur une vision particulière de ce qui est considéré comme étant un(e) enseignant(e) professionnel(le), qui s’écarte de celle à laquelle grand nombre d’enseignant(e)s se sont malheureusement habitué(e)s.

Le leadership etle professionnalisme de l’enseignant(e)

L’aspect le plus complexe de cette conception reste peut-être celui du rôle professionnel de l’enseignant(e)s qui est représenté par la première proposition qui figure dans la liste ci-dessus: les enseignant(e)s devraient avoir la possibilité de diriger. Le concept du leadership constitue un défi dans la mesure où de nombreuses personnes entretiennent l’idée selon laquelle il s’agit des pouvoirs et des responsabilités des personnes qui sont au sommet de l’organisation ou qui détiennent une place formelle au sein de la hiérarchie. En fait, il serait utile de considérer le leadership comme un processus ou une pratique. Qu’implique l’exercice du leadership en réalité? Voici certains des éléments que cela engobe:

·         influencer et inspirer les autres;

·         prendre des initiatives et élaborer des orientations;

·         offrir un soutien/service;

·         tenir les autres responsables de leurs actes;

·         modéliser le comportement de l’apprentissage; et

·         valoriser/encourager les comportements opportuns.

Les discussions sur la pratique du leadership sont facilement accessibles (par exemple Leithwood et Reihl, 2003 et Spillane, 2006)

Si on se concentre sur la pratique du leadership plutôt que sur le rôle du « leader », il est aisé de constater que tout le monde au sein d’une école – enseignant(e)s, élèves, personnel de soutien scolaire – a le potentiel de prendre part à cette pratique, bien que à plus ou moins grande échelle. Les arguments en faveur d’une soi-disant « distribution du leadership » ont été présentés à plusieurs reprises (par exemple Bennett et al, 2003; MacBeath et al, 2004; Spillane, 2006; Pont, Nusche & Morman, 2008). Parfois, c’est le côté pratique de la gestion des écoles qui est souligné, là où il est impossible pour une seule personne, le/la directeur/trice de l’école, de résoudre tous les problèmes et de prendre toutes les décisions, et parfois ce qui prévaut est plutôt comment créer un environnement dans lequel les enseignant(e)s ont le sentiment d’appartenir et de posséder leur profession et par conséquent se rassemblent pour travailler en équipe. Ce sont des facteurs importants, naturellement, mais une approche plus critique de ce qui s’appelle le « paradigme des actes des leaders héroïques » (Yukl, 2010) donne lieu à des débats plus approfondis. Selon la tradition, on suppose que pour établir le leadership, l’autorité et le pouvoir doivent venir d’une position supérieure au sein de la hiérarchie – plus la position est élevée et plus l’autorité et le pouvoir sont grands. Les problèmes avec le paradigme des actes de leaders héroïques, sont qu’il ne réussit pas à établir la capacité du leadership dans le système (Hargreaves and Fink, 2004), ne permet pas aux écoles de s’épanouir en tant que communauté d’apprentissage professionnel (Bolam et al., 2005) et n’encourage pas les valeurs de la société civile démocratique.

Si nous sommes vraiment motivés à construire une société civile démocratique, nous devons réfléchir aux valeurs, aux tournures d’esprit et les pratiques normales que nous voulons encourager et dont nous voulons permettre le développement dans les écoles, car nous faisons tous notre apprentissage dans ces institutions dans les premières années de notre vie d’enfant. Lorsqu’on commence à aller l’école, c’est là où l’on établit la première interaction importante avec la société. Il est donc important que les écoles reflètent les valeurs que nous voulons voir comme fondement de la société en général. John F. Kennedy avait inscrit une formule restée célèbre dans une allocation qu’il aurait délivrée à Dallas, s’il n’avait pas été assassiné: « Le leadership et l’apprentissage sont indispensables l’un à l’autre », et c’est ce simple truisme qui a guidé le travail du groupe « Leadership pour l’enseignement » (Leadership for Learning – LfL) à l’Université de Cambridge, Faculté de l’Education, depuis l’an 2000. Les valeurs démocratiques étant essentielles à notre travail, ceci a donné lieu à une série de projets en recherche et développement sur le leadership partagé, le leadership des étudiant(e)s et le leadership des enseignant(e)s.